« Je suis une fille de papier, roulée dans le papyrus, je hume la feuille, je la sens fléchir sous mes doigts, le plaisir tactile fait partie de mes sens les plus aiguisés.
Toucher un livre et je suis comblée. »
Il y a deux ans encore, j’avais ce genre de discours, complètement obnubilée par le pouvoir du papier sur mon psychisme, une droguée de l’écrit, du ressenti, de la matière.
Quand j’ai découvert les liseuses, j’ai d’abord eu un mouvement de recul, une pulsion de vie qui m’empêchait de me pencher sur le sujet, un désintérêt qui s’est vite mué en complète fascination, j’ai la volonté d’une gosse quand je veux.
J’ai mis un an à me décider à acheter ma kobo, je me sentais comme une chrétienne qui vient de commettre un péché, un ver dans une pomme, une verrue sur un pied, je pensais que d’une manière ou d’une autre j’allais tuer le papier.
A l’époque, les premiers jours se sont bien passés, j’avais une sorte d’engouement progressif qui s’est transformé en addiction, je sortais ma liseuse au moindre arrêt de bus, en attendant le train, mes mains glacées dans les gants la buée dirigée vers l’écran, je restais dans ma bulle sur un bout de quai.
Puis, une fois mon « stock d’e-books » fini, j’ai été confrontée à la plate-forme de vente d’epub. Qui dit plate-forme dit lieu sans personne pour te conseiller, pas de libraire, pas de discussion autour des romans, beaux-livres, pas de tergiversation dans les rayons.
J’ai eu ma première déception avec la Fnac, ayant acheté leur appareil pour spécifiquement disposer de leur bibliothèque en ligne, je me suis vue refuser l’accès parce que « les résidents belges n’ont droit qu’au catalogue kobobooks ».
J’ai mis des mois à digérer l’entourloupe, en choisissant de méthodes alternatives pour faire un pied de nez au système. Cliente oui, mais pas pigeonne, le site kobo n’offrait qu’un choix réduit, et à l’heure d’aujourd’hui, sa fonction recherche est toujours aussi bancale qu’à ses débuts, rédhibitoire.
Avec le temps, mon avis sur le sujet devenait un argumentaire à la faveur de l’objet quand j’essayais de convaincre quelqu’un du bien fondé de ce nouveau-né dans l’univers culturel européen.
Un petit bout de plastique, plus esthétique et pratique que nostalgique qui était devenu, en quelques jours seulement, mon compagnon de banc public.
Une petite technologie pratique qui a abattu mes idées reçues une à une
- tu perds tout plaisir sans papier à froisser : ça dépend des points de vue, je trouve qu’à force d’avoir pu personnaliser la typographie et l’interligne, j’ai entre les mains un écrit qui se lit plus facilement parce que je lui ai donné une forme plus personnelle. Donc le confort apporte une autre dimension.
- au fond, ça revient au même que de lire sur une tablette : NON QUOI, une liseuse n’a rien à voir avec une tablette, l’e-ink ressemble énormément à l’encre papier, pas d’écran qui brille (sauf pour certains nouveaux modèles) et pas d’autonomie en berne après 3h. On oublie le net on se focalise sur le récit, pas de « bip » ou de « tuut » qui t’interrompent toutes les deux minutes, sans compter que la lumière bleue des appareils connectés éveille quand la liseuse n’influe pas sur le sommeil
- je trouve ça cher pour ce que c’est : ça dépend ça dépasse, si tu lis un livre par an, sûr que tu n’es pas le bon public, mais si, comme moi, tu en lis au moins un à deux par mois, voire plus, l’engin pourrait très bien te servir
- on ne peut pas annoter, gribouiller des infos dedans : en fait si, tu peux le faire directement sur une liseuse, même marquer des pages
- un livre ne meurt jamais : en réalités, les écrits ne meurent jamais, les bouquins, eux, finissent par pourrir, sentir le vieux grenier, vieillir tout simplement
- la technologie tue la nostalgie : la nostalgie reste ce mouvement régressif qui nous retient vers l’arrière quand on tente d’avancer. Il faut savoir manger les madeleines de Proust et ne garder que les plus précieuses, une fleur vaut mieux qu’un bouquet tu sais
Les gens sont effrayés, pensent que le livre électronique annonce la mort du livre papier (hum), alors que finalement, même en étant une addicte de ma liseuse, je n’arrête pas pour autant mon achat de bouquins physiques.
Pour le plaisir de remplir ma bibliothèque, d’avoir des collections complètes, de posséder l’oeuvre d’un auteur, de se rappeler en un coup d’oeil, je suis née dans une bassine remplie de journaux, j’ai de l’encre sur les doigts et le parfum d’une imprimerie qui me colle aux naseaux.
Je n’oublie pas d’où je viens, et je pense contribuer au partage des paroles d’un écrivain quand je conseille une lecture à un ami, quand je glisse dans une conversation qu’il y a des auteurs à découvrir.
Je suis une lectrice sur liseuse pourtant je ne me considère pas comme une dissidente dans le monde littéraire, je me cultive, d’une manière plus nomade, plus rapide, plus pratique, mais JE LIS.
Au fond, la nouveauté divise toujours, mais dans le débat électronique versus papier, est-ce que quelqu’un a pensé à ne parler que du récit commun aux deux supports ?
C’est l’histoire qui importe, le reste se lie aux souvenirs d’une époque dont on vient, où le tout papier avait ses droits.
Je préfère me dire que je suis la lectrice d’une période transitoire, vu que dans 30 ou 40 ans, nous lirons sûrement la majorité des contenus sur des supports électroniques.
Un mal pour un bien, on tue moins d’arbres, on vit plus vite, mais quand je m’assied avec mon bouquin numérique, je profite du moment avec une tasse de café ou de thé fumant.
Pour ça, rien ne change, je me sens bien dans ma bulle, fantastique interlude dans un quotidien pressé, et qu’on ne vienne plus me dire que je suis une paria, une lectrice de seconde zone.
Ce serait mal me connaître, m’offenser.
Je suis une lectrice comme les autres.
Caribouland