Il y a des gens qui font partie de mon quotidien, qui ont un nez, une bouche, deux oreilles, et pourtant une incapacité latente à écouter.
Il est vrai qu’en général, ce n’est pas parce qu’on a des mains que l’on a forcément la force pour attraper des choses avec.
Mais je vous assure que les facultés auditives de mon entourage ont tendance à décroître à mesure que les jours passent.
La plupart du temps, rien de grave, j’avais demandé à ce qu’on m’achète des pommes et on me met des bananes dans les bras.
Je demande un verre d’eau, on me donne du chocolat avec un supplément de chantilly (c’est gentil, fallait pas).
Ou encore, il faut d’urgence du papier toilette, mais il a été oublié dans son rayon au magasin.
Rien de quoi se prendre le chou, au départ, mais à force, tu peux comprendre que la petite Rose, ça finit par lui courir sur le haricot.
Du coup ça prend des proportions terribles : « oui mais j’avais dit que, t’avais demandé de, pourquoi tu n’as pas ? »
Et dans l’enthousiasme général, on mange une banane en s’essuyant les fesses avec la pelure, puis tout le monde s’énerve, et finit par se traiter de tartiflette.
Du grand art.
C’est dans ce genre de quiproquos que l’on t’affuble du costume de mauvais foi, celui qui traîne par terre comme une loque, qui est bleu électrique et moche au possible.
C’est vraiment le costume qui hérisse le poil jusqu’au ciel, et te faire dire « bleuargh » avec des yeux révulsés.
Alors tu tires sur les coutures, tu fais la grimace, tu affirmes que tu avais dit vers 15h02 de ne surtout pas oublier le GPS dans l’armoire du bas pour le voyage du lendemain, parce qu’à 15h03 tu te souviens t’être planté un bout de fourchette dans le petit doigt et qu’après tu était incapable de parler (normal, tu avais ta chair en sang collée en bouche pour calmer la douleur).
Mais les personnes qui ne t’écoutent pas n’ont pas non plus envie de t’entendre, enchaînent sur tout ce qu’elles ont à te reprocher sur les dix dernières années, avec un soupçon de « je te l’avais dit » dans la voix.
Pourtant tu es certaine de ce que TOI, tu as dit.
Parce que tu as une mémoire auditive extrêmement balaise, qui te rend la vie compliquée, et te fait te souvenir de tous les mots qu’un quidam déblatérait à un mur sur le quai d’une gare en juin 96.
Du coup, tu te dis que pour la prochaine fois où on ne t’écoutera pas tu seras parée.
Tu auras été faire un tour en quincaillerie, une casquette vissée à la tête, dévalisant les rayons « espionnage dans la limite de la légalité », installant des webcams dans toute la maison, optimisant les entrées micros placées sur les meubles, ne négligeant aucun détail, évitant tout point mort.
T’es au taquet, au maximum de tes performances, avec la ferme intention de pouvoir affirmer sans un doute «je t’avais prévenu ».
Tu prépares tout ce qu’il est possible pour contredire ton adversaire, tu dresses des pièges, fais signer des papiers qui disent que t’es une déesse (tant qu’à faire), parce que dans deux jours on te dira le contraire, et au moins tu pourras prouver ta bonne foi, cette fois.
Et faire en sorte que l’on te croie.
Mais bizarrement, les gens qui ne t’écoutent pas ont tendance à muter.
Quand tu arrives effectivement à prouver que tu as raison, la personne se décompose dans un bruit de succion et se transforme en costume bleu.
Un costume bleu qui brille par sa mauvaise foi lui aussi, mais cette fois bien porté, presque classe, et qui essaye de démonter tes preuves pourtant si tangibles.
Il tente même un moonwalk pour faire passer ses fourberies, alors que tes yeux deviennent vitreux sous l’effet de la colère.
Pour un cas comme ça, tu n’as qu’une réaction qui fasse l’affaire, quelque chose d’instinctif qui part de la tête jusqu’à la main, en passant par le coude.
Tu fiches une claque, et part bouder.
« C’est vrai quoi, fallait pas me pousser à bout ».
Caribouland